Déjà remarqué à Cannes dans la section Un certain regard, Flow a réalisé un quadruplé au festival d’Annecy en raflant le prix du jury, celui du public, de la meilleure musique et enfin de l’audience. Réalisé par Gints Zilbalodis et produit par Sacrebleu Productions (Sirocco et le Royaume des courants d’air, Ma Famille Afghane, etc.), ce film d’animation a été créé par des artistes lettons, belges et français. Flow nous embarque au gré du courant dans une aventure animale où le monde est soudainement englouti par la montée des eaux. Un petit chat va alors faire une équipe improbable avec d’autres espèces. Ensembles, ils vont conjuguer leurs forces et faiblesses afin de surmonter des différences finalement bien superficielles.

Annecy 2024

Ohé, ohé, capitaine abandonné !

Relecture renversée du mythe de l’arche de Noé, Flow nous met à hauteur du monde animal. La présence de l’homme est à peine suggérée par les vestiges d’une civilisation déchue, laquelle semblait vouer un culte aux félins. Tout est fait pour que nous échappions à notre condition humaine. A cet effet, la caméra est toujours au plus près du sol afin de se mettre le plus possible dans la peau d’un quadripède. Naturels, ces mouvements félins nous font oublier les artifices techniques de mise en scène propres au cinéma. Le septième Art semble ici emprunter beaucoup à la grammaire du jeu vidéo, à commencer par cette folle course-poursuite inaugurale portée par un plan séquence de toute beauté et une 3D très différente de ce qu’on peut voir dans le domaine. Si le mouvement apparaît globalement fluide, le framerate (quoiqu’à 24 images par secondes) semble très légèrement (et volontairement) saccadé par endroits.

Flow

Léo Silly-Pélissier, directeur de l’animation a travaillé avec une petite vingtaine de personnes sous Blender. C’est lui qui expliquait déjà sa démarche artistique un an plus tôt lors d’une conférence des RADI-RAF 2023. Il avait déjà œuvré sur l’excellent Unicorn Wars (voir notre critique et interview) et il a signé des films avec Michel Ocelot (lire notre interview). Avec seulement une vingtaine de séquences, Flow opte pour l’animation continue plutôt que la découpe, ce qui laisse davantage d’espace à l’immersion contemplative. Fait notoire, le film n’est jamais passé par un storyboard. Un environnement immense a été crée en plaçant des caméras virtuelles à l’intérieur pour une mise en scène en direct et à l’épaule. On est donc très proche des méthodes propres au jeu-vidéo.

Flow

Pour raconter son histoire Gints Zilbalodis a choisi un style graphique naturaliste qui rappelle le cel shading, technique chère au jeu vidéo. Une vaste gamme de couleurs semble avoir été appliquée aux textures sur lesquelles on devine les coups de pinceaux, comme si chaque pixel avait été peint à la main. La caméra flottante se permet toutes les audaces tout en restant au plus proche de ses personnages. La musique impressionniste, tout en élégance elle aussi, rappelle la pudeur de l’OST du jeu vidéo Breath of The Wild. Quelques cordes ici et là rappellent un monde désolé ponctué par de discrètes notes de piano. Plutôt qu’une symphonie écrasante, la musique opère avec délicatesse comme si elle faisait partie intégrante du dispositif environnemental tout en laissant une place de choix aux silences. C’est la symbiose de l’image et du son.

Là où nombre de films d’animation cherchent à anthropomorphiser les animaux, Flow choisit une approche radicalement opposée comme le faisait déjà le jeu Stray avant lui. On reconnaît systématiquement les bêtes et leurs mouvements et mimiques restent toujours bien ancrées dans le monde animal. Exit les dialogues, là encore la communication est systématiquement non verbale. A l’instar d’un film muet, seules les expressions des bêtes permettent de véhiculer l’émotion. Et c’est là que Flow réussit à tirer son épingle du jeu car c’est au spectateur de deviner entre les lignes les intentions des animaux, alors qu’une communication inter-espèce embryonnaire se développe entre ces bêtes différentes que tout oppose… à moins qu’il ne s’agisse de si peu… Même sans calquer les animaux sur des modèles humanisés et sans aucune ligne de texte, on arrive à lire des sensibilités différentes au sein de cette meute singulière.

Flow

Emportés par les vents sur une frêle embarcation, ces réfugiés climatiques vont devoir apprendre à s’apprivoiser réciproquement. Cette arche de fortune fait office de dernier refuge où un chat noir, une grue, un lémurien, un capybaras et des chiens vont hisser la grande voile vers l’inconnu. Toujours en mouvement, le film choisit un cap linéaire. Véritable tour de force pour un film sans paroles et à la trame simple mais jamais simpliste, Flow réussit à constamment tenir en haleine le spectateur en nous ramenant à nos instincts les plus primaires. 

A l’image d’un animal en alerte, on se retrouve à guetter le moindre détail de cet environnement qui regorge de vie et où chaque rencontre s’analyse d’abord selon un rapport de prédation. Fort heureusement, Flow évite l’écueil de la mièvrerie. Le monde est présenté sans jugement moral ni manichéisme. La vie est rude mais la rudesse fait partie intégrante de la vie. En contrepartie, c’est aussi un monde d’opulence que la catastrophe a laissé. Un paradis perdu retrouvé par la déchéance des hommes ?

Une fable écologique jamais mièvre

Inéluctable, la montée des eaux reflète certainement nos angoisses contemporaines et légitimes face à la catastrophe climatique qui gronde et dont on pèse de plus en plus les effets sur notre quotidien. En ce sens, Flow est aussi une fable écologique qui offre à voir des écosystèmes libérés des hommes. La crise climatique qu’on aime présenter trop souvent comme une opération sauvetage de la faune et de la flore sonne avant tout le glas de l’ère anthropocène. La planète, elle, l’emportera quoi qu’il advienne. Sur les ruines du vivant qu’on connaît et au détriment de l’humanité, certes, mais après le déluge, « la vie [re]trouve toujours son chemin » comme le dirait ce bon vieux Ian Malcom. 

Flow

Finalement, en creux, Flow interroge le naufrage de l’humanité et son paradoxe : la libération de la biodiversité. Même si les hommes ne sont jamais nommés, la grande catastrophe annoncée serait à terme une délivrance pour le monde animal et végétal. Flow flirte constamment entre le ciel et le monde aquatique tout en réussissant à immerger le spectateur grâce à son style graphique à la croisée de l’aquarelle et de couleurs pastel. Dans son œuvre A la recherche du temps perdu, Marcel Proust résumait en ces termes la morale de l’histoire de Noé racontée dans le livre de la Genèse :

« Jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l’arche malgré qu’elle fut close et qu’il fit nuit sur la Terre. »

Flow

C’est aussi le sens à donner au film de Gints Zilbalodis qui symbolise à l’écran cette révélation. Quoiqu’emprisonnés sur cette frêle embarcation, ces êtres autrefois séparés vont réapprendre à vivre. Devant le déluge, les animaux finissent par s’entraider en renonçant à leurs différences. La montée des eaux qui finit par recouvrir les cimes des arbres est une métaphore de l’urgence de s’unir contre le chaos qui vient. Ode à l’altérité, Flow est une allégorie réussie sur l’adversité et le vivre-ensemble. Une bouffée d’air frais à une époque où la peur de l’autre est instrumentalisée pour nourrir la division jusqu’à annihiler les conditions mêmes de la vie en communauté.

Annecy 2024

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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